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Histoire des banques en France
Alain Plessis
Professeur émérite à l’Université de Paris X Nanterre


Des progrès longtemps entravés


Au Moyen-Age et au début des Temps modernes, les activités bancaires ont connu en
France un développement plus tardif et plus difficile que dans des pays voisins comme l'Italie,
les Pays-Bas ou les Provinces-Unies. La place écrasante d'une agriculture de subsistance et
une insertion très partielle dans les échanges internationaux, l'influence dominante de l'Église
catholique et les sermons des prêtres qui persistent longtemps dans leurs dénonciations du
prêt à intérêt, des mentalités très hostiles à tout ce qui ressemble à de l'usure, rendent les
manieurs d'argent suspects et entravent le libre développement de leurs affaires.
Pourtant l'essor du négoce, qui se manifeste d'abord aux douzième et treizième siècles
par l'activité des foires de Champagne, puis par le dynamisme de places commerciales comme
les grands ports du royaume ou la ville de Lyon, et les besoins financiers du pouvoir royal,
qui dès la même époque a dû largement emprunter à l'ordre des Templiers, ont rendu de plus
en plus indispensables l'utilisation des pratiques bancaires. Les méthodes de la banque, qui
ont généralement été inventées en Italie, gagnent dès lors la France : il s'agit du change
manuel, de l'usage des lettres de change pour transférer des fonds, d'opérations de crédit, qui
se greffent sur les opérations précédentes, de dépôts, de virements et de placements divers.
Les banquiers qui pratiquent ces métiers et parfois s'enrichissent beaucoup sont surtout
des étrangers qui vivent en marge de la communauté nationale, surtout des Italiens et des
Juifs. On appelait ces Italiens les Lombards : à Paris, qui est déjà une ville de banque, des
changeurs venus du Piémont se sont ainsi installés dans une rue appelée depuis lors la rue des
Lombards. Certains Français font aussi de la banque. Ainsi le célèbre Jacques Coeur (1395-
1456) ; mais l'essentiel de ses profits provient de son rôle de fournisseur de la Cour en
produits de luxe, il est tombé en disgrâce en 1451, et ses biens ont été confisqués. Pour les
Français, la banque est encore plus une aventure qu'une entreprise économique comme les
autres.


C'est du dix-huitième siècle que date le premier véritable essor de la banque en France.
Certes l'ambitieuse tentative de John Law (1716-1720) se solde par un échec lourd de
conséquences. Sa Banque générale, qui a reçu le privilège d'émettre des billets de banque, est
destinée tout à la fois à secourir le crédit public, gravement atteint par le coût des guerres de
Louis XIV, et à amortir l'écrasante dette de l'État, d'autre part à assurer la reprise de
l'économie en développant le crédit commercial. Victime d'une spéculation déchaînée et d'une
émission excessive de monnaie fiduciaire, le « Système » s'effondre brutalement, ce qui jette
sur toutes les entreprises de banque un discrédit qui persistera pendant plusieurs décennies.
Mais le progrès de l'économie, en particulier du grand commerce, et la nécessité où se
trouve l'État d'emprunter sans cesse de l'argent, provoquent l'organisation progressive d'une
structure du crédit qui apparaît relativement diversifiée sous le règne de Louis XVI. A la base,
dans bien des petites villes de province, il y a, déjà nombreux, les escompteurs et les
banquiers locaux, qui assurent la circulation des effets de commerce servant à financer le
négoce et font du crédit commercial.


Des maisons de banque plus puissantes sont établies dans quelques cités actives,
comme Lyon, Bordeaux, Saint-Malo, et avant tout à Paris. S'il y a de grands banquiers
catholiques et originaires de France, beaucoup d'entre eux sont venus de l'étranger,
notamment de Suisse, et sont de religion protestante, comme les Hottinguer, de Zurich, ou les
Mallet, qui appartiennent à une ancienne famille de huguenots installée à Genève. Leurs
activités sont multiples : ils financent le commerce international, mettent au service du
souverain leur crédit international, interviennent à la Bourse, et participent aux grosses
affaires du temps : l'armement, les assurances maritimes, les premières entreprises
industrielles. La Caisse d'escompte, créée en 1776 par Turgot, est administrée par les plus
puissants de ces banquiers. La banque est ainsi devenue une véritable entreprise, qui connaît
une réelle prospérité durant la décennie qui précède la Révolution, et non plus une aventure
aléatoire.


La Révolution française, d'abord accueillie avec sympathie par beaucoup de ces
banquiers, perturbe bientôt gravement les conditions du crédit. La perte de Saint-Domingue,
la guerre avec l'Europe coalisée, la fuite des capitaux liée à l'émigration, les troubles et
l'hostilité manifestée par le peuple à l'encontre de tous les manieurs d'argent, forcent ces
banquiers à liquider leurs affaires. Mais après la chute de Robespierre le 9 thermidor (1794),
les besoins d'une économie qui manque de moyens de paiement et ceux de l'État favorisent la
renaissance du crédit et la réapparition de grands banquiers. Au lendemain du coup d'État de
brumaire (1799) qui clôt l'ère de la Révolution, les plus puissants de ces banquiers fondent, en
parfait accord avec Bonaparte, la Banque de France, chargée de faire des opérations
d'escompte et d'avances sur titres à l'aide des billets qu'elle est autorisée à émettre. Mais les
structures de crédit qui se mettent alors en place doivent affronter une conjoncture souvent
agitée, en raison des guerres constantes, et il faut attendre le retour de la paix, avec
l'effondrement de l'Empire, pour qu'elles puissent s'épanouir pleinement.
Le temps des grands banquiers (1800-1860 environ)


La Haute Banque achève de se constituer pendant la première moitié du dix-neuvième
siècle. Cette expression désigne une vingtaine de maisons honorables de la capitale
appartenant à de très riches familles de banquiers ; certaines avaient déjà pratiqué la
profession avant 1789, comme les Mallet, établis à Paris depuis 1713. D'autres y sont venues
vers la fin de l'Empire, comme les Rothschild (c'est en 1812 que James de Rothschild est pour
la première fois dans la capitale) et d'autres, comme les Mirabaud, s'y installent seulement
sous la monarchie de Juillet (1830-1848). Si beaucoup sont de confession protestante ou
israélite, et d'origine suisse ou allemande, parfois anglaise ou hollandaise, il y en a aussi de
catholiques, venus souvent de province, comme les Perier de Grenoble. Certaines de ces
maisons feront preuve d'une étonnante longévité.


Au dix-neuvième siècle, leurs chefs emploient leur fortune personnelle, les capitaux
que leur ont confiés leurs parents et quelques riches relations, et les fonds qu'ils tirent de leurs
acceptations dans de multiples activités. Ces marchands-banquiers jouent un rôle actif dans le
commerce des grands produits bruts et fabriqués (blé, tabac, mercure, cotonnades...). Ils
financent le négoce international et ils entretiennent d'étroites relations avec les principales
places financières européennes, avec la City de Londres en particulier. En s'associant pour
constituer des syndicats de placement, ils favorisent le classement des grands emprunts d'État,
français et étrangers, et ils contribuent à la diffusion des valeurs mobilières. Ils lancent les
premières caisses d'épargne et les nouvelles compagnies d'assurances, ils financent largement
l'aménagement des nouveaux quartiers urbains, ils fondent des entreprises industrielles,
surtout dans les mines et la métallurgie. Enfin, ils participent activement à la fièvre de
construction ferroviaire qui marque les dernières années de la monarchie de Juillet. Plusieurs
d'entre eux jouent un rôle politique important sous ce régime.


James de Rothschild est de loin le plus puissant de ces grands banquiers. Grâce à la
solidarité qui l'unit à ses frères, à son travail forcené, aux relations privilégiées qu'il entretient
dans les cercles dirigeants sans lier jamais son sort à aucune forme de gouvernement, à son
sens particulier des affaires, il a su marcher avec son temps et édifier une maison qui surclasse
toutes ses rivales. II a été aussi le promoteur de la très puissante Compagnie du chemin de fer
du Nord, qui restera sous l'emprise des Rothschild jusqu'en 1937. A sa mort, en 1868, il laisse
une fortune fabuleuse pour l'époque de 150 millions de francs. Demeuré étranger, il n'a pu
devenir lui-même régent de la Banque de France, mais son fils Alphonse est entré en 1855, à
l'âge de vingt-huit ans, dans le Conseil de régence où se trouvent représentées les plus
influentes des familles de la Haute Banque. Ceci leur permet de diriger l'institut d'émission,
de concert avec un gouverneur, dont la fonction a été instituée en 1806, et qui est nommé par
le chef de l'État. A côte de ces puissants financiers, il existe dans la plupart des villes des
banquiers locaux, qui se sont multipliés pendant les années 1830-1870. Au début de la
Troisième République, on en comptait peut-être 2000, et la France disposait ainsi d'un tissu
bancaire d'une richesse souvent insoupçonnée. Ces banquiers locaux, appelés escompteurs
(voire usuriers par ceux qui s'en plaignent), constituent un milieu complexe et hiérarchisé.
Leurs moyens sont limités, mais ils peuvent en cas de besoin s'appuyer sur la maison
parisienne dont ils sont les correspondants, et ils se refinancent généralement auprès de la
succursale de la Banque de France la plus proche. Celle-ci, qui jouit depuis 1848 du
monopole de l'émission (elle a à cette date absorbé les neuf banques départementales
d'émission, alors en difficulté), s'est engagée en 1857 à ouvrir au moins une succursale par
département. Les entrepreneurs honorables ont toujours la possibilité d'y réescompter une
partie des effets de commerce qu'ils détiennent. Quand ils disparaîtront, surtout après 1930, on
regrettera ces banquiers locaux proches de leurs clients et bien intégrés à l'économie de leur
contrée.


Ainsi la banque, qui en Angleterre est déjà représentée par de grands établissements,
ayant la forme de sociétés anonymes et disposant d'un réseau de succursales, est longtemps
demeurée en France un monde de banquiers, petits (les banquiers locaux) ou grands (la Haute
Banque), s'appuyant les uns et les autres sur les crédits de la Banque de France, qui est la clef
de voûte d'un système remarquablement cohérent. Ce système va être perturbé par l'irruption
des grandes banques de dépôts.


L'essor des grandes banques (1860-1914)


Si ces rouages traditionnels du crédit suffisent à peu près pour les demandes
habituelles de l'État et pour les besoins du commerce, en temps de crise économique l'argent
devient rare et cher. Ainsi en 1848, quand une sévère crise économique s'aggrave par l'effet
d'une révolution politique, certains banquiers font faillite, d'autres arrêtent de faire crédit. Il a
donc fallu que l'État et les villes interviennent pour créer des comptoirs d'escompte, en
particulier le Comptoir d'escompte de Paris.
Les entrepreneurs, qui font ordinairement appel à l'autofinancement, se plaignent
parfois de manquer de crédits pour des besoins exceptionnels. Or de simples banquiers, quelle
que soit leur fortune, disposent de moyens limités, ne leur permettant pas de faire face
brusquement à des appels de capitaux d'une ampleur toute nouvelle. Cette situation s'est
produite par exemple pour la construction des grandes lignes de chemins de fer dans les
années 1850, ou pour stimuler la modernisation de l'industrie exposée à la concurrence
anglaise à partir du traité de libre échange de 1860. Dans de tels cas, la nécessité d'autres
organismes de crédit se fait sentir.


Dès 1827 le banquier Jacques Laffitte avait tenté de lancer une société commanditaire
du commerce et de l'industrie, puis des saint-simoniens, parmi lesquels les jeunes frères
Pereire, avaient formé le projet hardi d'un nouveau « système des banques » devant permettre
à l'économie de bénéficier largement des miracles du crédit. Les réalisations se sont bornées à
la création, sous la monarchie de Juillet, de « caisses » comme la Caisse générale du
commerce et de l'industrie fondée par Laffitte en 1837. Ces établissements, uniquement
parisiens, qui font des prêts aux forges et aux chemins de fer, sont des banques par actions
aux moyens encore limités, qui immobilisent dangereusement leurs fonds. Aussi ont-elles été
emportées par la crise économique et politique de 1847-1848.
C'est seulement sous le Second Empire que s'affirme le rôle des banques nouvelles,
constituées sur de larges bases en sociétés anonymes par actions. L'année 1852 voit la
naissance du Crédit foncier, qui va financer la transformation des grandes villes, en particulier
de Paris, puis se lancer dans des prêts à l'Égypte, avant de se cantonner dans le crédit aux
municipalités et les prêts à des particuliers sur hypothèques, mais n'est pas l'organisme de
crédit à l'agriculture espéré par certains.
La même année 1852, les frères Pereire, forts de l'appui de Napoléon III, qui a luimême
été influencé par le saint-simonisme, et du concours de familles de la haute banque,
créent le Crédit mobilier, qui devient rapidement sous leur direction une banque puissante et
dynamique. A l'imitation de la Société générale de Belgique, cet établissement se fait, en
France comme à l'étranger, le promoteur de grandes entreprises de toutes sortes, qui
constituent déjà un véritable groupe financier comprenant des exploitations minières, de
grands établissements de crédit comme la Banque impériale ottomane ou le Crédit foncier
autrichien, des sociétés ferroviaires et des compagnies d'assurances françaises et étrangères, la
Compagnie générale transatlantique, des compagnies chargées de l'équipement des grandes
villes et de la construction d'immeubles. Mais le Crédit mobilier n'obtient pas du
gouvernement l'autorisation de multiplier ses émissions d'obligations comme il l'aurait voulu,
et il immobilise trop ses fonds dans des prêts à la Compagnie immobilière, une filiale qui s'est
imprudemment engagée à Paris et à Marseille. En 1866-1867 il est secoué par une dure crise,
les Pereire sont forcés de démissionner à la demande de la Banque de France, qui leur était
très hostile, et cette grande entreprise décline.
Désormais, les grandes banques, ce sont le Crédit lyonnais et la Société générale, nés
en 1863 et 1864, qui, après le Crédit industriel et commercial (fondé en 1859), mettent en
oeuvre l'innovation majeure, qui va permettre de drainer l'épargne nationale. Ils partent à la
chasse aux dépôts, en imitant les grandes banques anglaises : ils se constituent de véritables
réseaux d'agences, utilisent les services des démarcheurs, et font appel à la réclame pour faire
valoir les gros intérêts et les multiples services qu'ils offrent à leurs déposants (service des
titres, octroi de carnets de chèques, l'usage de ces derniers étant devenu légal en 1865, etc.).
Ils parviennent ainsi à surmonter les réticences des épargnants et à faire la conquête d'une
assez large clientèle. A la veille de la guerre de 1914-1918, le Crédit lyonnais, qui est la
première banque française, a plus de 600 000 titulaires de comptes.
A leurs débuts, ces établissements de crédit ont utilisé hardiment les fonds qu'ils
centralisaient ainsi sous forme de dépôts généralement à vue, dans des spéculations risquées,
dans des prêts à long terme pour le financement de véritables investissements industriels. Ils
se sont comportés comme de véritables « banques à tout faire ». Le titre initial de la Société
générale était d’ailleurs : Société générale pour favoriser 1e développement du commerce et
de l'industrie en France.
Mais cette politique industrielle s'est avérée dangereuse, et ces banques ont été mises
en péril par de massifs retraits de dépôts lors de la guerre de 1870 et des graves crises qui
éclatent pendant la « grande dépression » (1873-1896), notamment en 1882 et 1889.
Naturellement porté à la prudence et conscient de ces risques, le président fondateur du Crédit
lyonnais, Henri Germain, décide à partir de 1870 et surtout de 1882 de se cantonner dans les
crédits à court terme, seul emploi à ses yeux convenant pour des dépôts à vue. Son exemple
est suivi par le Crédit industriel et commercial (qui présente la particularité de ne pas avoir en
province d'agences, mais seulement des filiales largement autonomes) et plus tardivement par
la Société générale. Les banques de dépôts se spécialisent ainsi dans les opérations
d'escompte, et aussi dans les avances sur titres et les reports en Bourse. Du même coup, elles
se différencient des grandes banques d'affaires : également constituées en sociétés anonymes,
celles-ci, qui n'ont pas d'agences en province et tirent leurs ressources surtout de gros dépôts à
terme ou de l'émission d'obligations, prennent des participations dans des entreprises et leur
font des prêts de longue durée. Les principales de ces banques d'affaires sont la Banque de
Paris et des Pays-Bas (1872), la Banque de l'Indochine (1875), et la Banque de l'union
parisienne constituée au début du vingtième siècle par plusieurs familles de la Haute Banque
protestante.
A la veille de la première guerre mondiale, la France dispose ainsi de structures
bancaires relativement diversifiées. Les banques d'affaires et la Haute Banque s'occupent
surtout d'opérations à terme, de grosses affaires financières. Les effets de commerce, qui se
sont multipliés et tiennent une place plus considérable que dans les autres pays, constituent le
support essentiel du crédit à court terme. Cette « matière escomptable » est recherchée à la
fois par les banques locales et régionales (qui font aussi de la commandite), par les grandes
banques de dépôts, et par la Banque de France, qui pratique non seulement le réescompte
mais aussi l'escompte direct. L'économie a donc à sa disposition des crédits commerciaux
abondants et relativement bon marché.
Des critiques pourtant s'élèvent. Ces grandes banques de dépôts, qui placent dans leur
clientèle beaucoup de titres étrangers comme les « emprunts russes », sont l'objet d'une
violente campagne, qui culmine en 1906-1910. On accuse cette « oligarchie financière » de
détourner ainsi l'épargne nationale vers l'étranger aux dépens de l'équipement du pays. On
regrette que ces banques aient négligé l'agriculture, ce qui a amené l'État à favoriser la
formation de caisses de crédit agricole (lois de 1894 instituant les sociétés de crédit agricole -
qui deviendront les caisses locales - et de 1899 donnant naissance aux caisses régionales).
Enfin, les petits entrepreneurs et les artisans se plaignent d'accéder difficilement aux prêts des
banques, et le ministre des finances Caillaux crée en 1911 une commission chargée de
combler cette lacune de notre système bancaire en préparant une loi favorisant le
développement des banques populaires, loi qui sera votée en 1917.
Même si dans une large partie de l'opinion ces grandes banques demeurent mal vues,
elles ont su s'attirer une clientèle relativement nombreuse et développer considérablement
leurs opérations. En 1914, le Crédit lyonnais est d’une taille comparable à celle des plus
grandes banques de la City.


Le temps des épreuves (1914-45)


Les banques françaises ont eu ensuite à affronter une longue période de difficultés, et
d'abord les perturbations dues à la première guerre mondiale. Dès qu'elle éclate, les banques
de dépôts sont assaillies de demandes de retraits. Le gouvernement décrète un moratoire pour
leur permettre de ne rembourser que très progressivement leurs dépôts, et leur image dans le
public en est gravement altérée. Après la guerre, la reconstitution des ressources s'avère
difficile : beaucoup d'épargnants sont appauvris par l'inflation et par le refus de l'URSS de
reconnaître les dettes de la Russie tsariste, les capitaux fuient à l'étranger lors des crises du
franc de 1923-1926. Les fonds propres des banques sont érodés par l'inflation. Aussi les
banques de dépôts se cantonnent-elles dans des crédits à très court terme, en achetant
massivement des bons du Trésor. Les maisons de la haute banque se contentent souvent de
gérer leurs positions antérieures. Les banques d'affaires interviennent surtout en Europe
centrale et orientale et dans les colonies. Quant aux banques locales et régionales, elles
connaissent une certaine renaissance pendant les années 1920 et elles aident fréquemment les
entreprises industrielles à financer leurs investissements. Mais ces structures bancaires
demeurent fragiles, et ce n'est qu'avec la stabilisation du franc par Poincaré en 1926-1928 que
les établissements de crédit parviennent à reconstituer leurs ressources.
Dès le début de la grande crise, les banques locales et les banques nouvelles qui
avaient prêté hardiment aux industriels pendant le boom des années 1920 sont victimes de la
« congélation » de leurs crédits, et exposées à des demandes massives de retraits de leurs
dépôts. Elles tombent en faillite en 1930-1931, et le nombre des banques diminue d'un quart.
Une seule grande banque, la Banque nationale de crédit, née en 1913, menace de s'effondrer.
Le Trésor public l'aide à se liquider, et elle cède sa place à la Banque nationale pour le
commerce et l'industrie. Les autres, qui avaient conservé de fortes encaisses liquides,
réussissent à surmonter la crise bancaire, qui n'a donc pas eu la même gravité qu'aux États-
Unis ou en Europe centrale. Mais elles sont sorties de l'épreuve affaiblies, et leur taille s'est
considérablement amenuisée, puisque en 1936 la plus grande banque anglaise, la Midland
Bank, « pèse » aussi lourd que les sept premières banques françaises réunies.
Dès le début de la grande crise, les banques locales et les banques nouvelles qui
avaient prêté hardiment aux industriels pendant le boom des années 1920 sont victimes de la
« congélation » de leurs crédits, et exposées à des demandes massives de retraits de leurs
dépôts. Elles tombent en faillite en 1930-31, et le nombre des banques diminue d'un quart.
Une seule grande banque, la Banque nationale de crédit, née en 1913, menace de s'effondrer.
Le Trésor public l'aide à se liquider, et elle cède sa place à la Banque nationale pour le
commerce et l'industrie. Les autres, qui avaient conservé de fortes encaisses liquides,
réussissent à surmonter la crise bancaire, qui n'a donc pas eu la même gravité qu'aux États-
Unis ou en Europe centrale. Mais elles sont sorties de l'épreuve affaiblies, et leur taille s'est
considérablement amenuisée, puisque en 1936 la plus grande banque anglaise, la Midland
Bank, « pèse » aussi lourd que les sept premières banques françaises réunies.
Ce déclin du secteur privé a pour contrepartie une intervention accrue de l'État. II
disposait depuis 1816 de la Caisse des dépôts et consignations, qui a pour ressource
essentielle les fonds des Caisses d'épargne et qui soutient les finances publiques en achetant
des rentes et des bons du Trésor ; dans les années 1930, elle est chargée de plus de
réescompter les effets représentatifs de crédits à moyen terme. Les pouvoirs publics ont créé
en 1918 les chèques postaux, qui se développent lentement. Dans les années 1920, les rouages
bancaires relevant du secteur public ou mutualiste se multiplient : les banques populaires et
les caisses de crédit agricole connaissent une réelle extension (loi de 1920 créant l’Office
national de crédit agricole, devenu Caisse nationale), le Crédit National, fondé en 1919,
finance d'abord la reconstruction des régions dévastées, puis il se spécialise dans des prêts de
longue durée. En 1936, le Front populaire « réforme » la Banque de France : les banquiers
régents disparaissent et désormais l'institut d'émission est soumis étroitement au pouvoir. La
même année, on crée la Caisse des marchés de l'État, chargée de faire des crédits aux firmes
travaillant pour des marchés publics et de concourir ainsi à l'effort de réarmement de la
France.
Pendant la seconde guerre mondiale, les banques souffrent de l'effondrement de
l'économie (abondance des ressources et faiblesse des emplois), de la coupure des liens avec
leurs réseaux étrangers et des pressions de l'occupant. S’y ajoutent des mesures raciales de
blocage des comptes des déposants juifs, que les banques doivent appliquer bon gré mal gré,
se trouvant transformées en auxiliaires d’une spoliation organisée à la fois par l’Occupant et
par l'État de Vichy. Ce dernier met fin au régime libéral dans lequel fonctionnaient toujours
les banques en France : la loi du 13 juin 1941 les définit et réglemente leur activité et met en
place des institutions, qui seront largement maintenues à la Libération sous d'autres noms
(Commission de contrôle des banques, Conseil national du crédit). Il y a alors 550 banques en
France.


Sous l’emprise de l'État (1945-1982)


En 1945 le gouvernement du Général de Gaulle nationalise la Banque de France et les
quatre premières banques commerciales disposant d'un réseau national : Crédit lyonnais,
Société générale, Comptoir national d'escompte de Paris et BNCI. La même loi reprend
l'essentiel de la réglementation de Vichy, et établit une cloison étanche entre les banques de
dépôts, qui doivent privilégier les emplois liquides, et les banques d'affaires, qui ont évité la
nationalisation et peuvent prendre des engagements longs. L'État a donc pris en main
l'essentiel du crédit. Pendant une vingtaine d'années, les banques nationalisées se consacrent à
la collecte de l'épargne à court terme, elles soutiennent les émissions du Trésor tout en
participant au financement de la reconstruction et de la modernisation de l'économie. C'est
toutefois le Trésor qui finance principalement la réalisation des premiers Plans et c'est la
Caisse des dépôts qui aide les collectivités locales et finance la construction des logements
populaires et moyens. Les banques proprement dites constituent un secteur cartellisé, où on
évite de se faire concurrence. Tenues par une politique restrictive du Conseil national du
crédit, elles n'augmentent guère le nombre de leurs guichets de 1945 à 1959 et se contentent
de gérer, sans risque, les ressources que l'inflation ambiante et les efforts de l'État pour
favoriser l'usage du chèque gonflent tout naturellement. Mais au moment du cinquième Plan,
quand la poursuite de l'expansion nécessite un effort considérable d'investissement, c'est au
concours des grandes banques qu'on va faire appel. A cette fin, les « lois Debré » de 1966-
1967 atténuent sensiblement la séparation banques d'affaires/banques de dépôts. Elles
permettent à ces dernières d'accroître l'éventail de leurs ressources (en recevant des dépôts à
plus de deux ans, etc.) et surtout d'élargir fortement leurs participations dans des firmes.
Toutes ces banques sont autorisées à ouvrir à volonté de nouveaux guichets et à se faire
concurrence, il est permis aussi à des établissements du secteur public et du secteur privé de
resserrer les liens qui les unissent. Enfin le ministre Michel Debré fusionne le CNEP et de la
BNCI, qui donnent naissance à la première banque française, la Banque nationale de Paris
(BNP).
Le système de crédit réagit rapidement à ces sollicitations. Tandis que les
établissements mutualistes poursuivent leur croissance soutenue, les banques nationalisées
font preuve d'un dynamisme nouveau : en quelques années elles doublent le nombre de leurs
guichets. Les familles françaises sont presque toutes « bancarisées », notamment, à la suite
des accords de Matignon en 1968, sous l’effet de la mensualisation des salaires et de
l’obligation de les verser sur un compte bancaire. Ces banques offrent aux entreprises et aux
particuliers une gamme de produits de plus en plus diversifiés (crédits à long et moyen terme,
crédits à l’exportation, financements de projets, prêts personnels, aide au logement, sicav,
etc.). Leurs dépôts triplent de 1966 à 1976, et désormais la monnaie de banque représente les
quatre cinquièmes de la masse monétaire.
Dans le même temps, les banques d'affaires connaissent une véritable renaissance et se
lancent dans de grandes manoeuvres. Autour de la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui s'est
agrégé la Compagnie bancaire en 1966-1973, et de la Compagnie de Suez, qui a acheté la
Banque de l'Indochine en 1972, se constituent deux très puissants groupes financiers. Ils
s'affrontent en 1968-1969 à propos de la reprise du CIC. Finalement, aux termes d'un accord
conclu en 1971, Suez obtient le contrôle du CIC et cède la BUP à Paribas, qui la fusionne
avec le Crédit du Nord (déjà acquis en 1968).
La crise pétrolière de 1973 se répercute, avec quelque retard, sur les banques
françaises. Et en 1982 le gouvernement de gauche issu des élections de l'année précédente
procède à une nouvelle vague de nationalisations. Les banques d'affaires sont cette fois
concernées, comme toutes les banques françaises détenant plus d'un milliard de francs de
dépôts. Désormais presque tous les rouages bancaires relèvent des secteurs public ou
mutualiste.
L'emprise exercée par l'État n'empêche pas le paysage bancaire d'évoluer. Les grandes
banques se rapprochent des compagnies d'assurances, les plus puissantes d'entre elles
constituent des groupes financiers complexes, et elles poursuivent leurs efforts d'implantation
à l'étranger. Elles modernisent leur gestion en s'informatisant rapidement, et elles ont effectué
une remarquable percée technologique avec leur système de cartes bancaires unique à
l'époque par son étendue géographique, par sa constante disponibilité et par l'interconnexion
de tous les réseaux. Dans le classement des banques mondiales établi au début des années
1980 d'après le montant total de leurs dépôts, quatre d'entre elles (le Crédit agricole, la BNP,
le Crédit lyonnais et la Société générale) figurent dans les vingt premières places. Mais ces
mêmes banques ont alors encore des progrès à faire pour accroître leurs fonds propres, et
surtout pour améliorer une profitabilité médiocre.
Une nouvelle révolution bancaire
Ce monde de la banque, qui il y une vingtaine d'années était compartimenté,
réglementé, et dominé par l'État, connaît depuis des mutations profondes, dont le rythme
s'accélère brutalement ces dernières années. Elles proviennent de la conjonction plusieurs
facteurs.
Tout d'abord la loi bancaire de 1984, qui soumet à un cadre juridique commun
l'ensemble des établissements de crédit, quel que soit leur statut, est au point de départ d'un
mouvement continu de décloisonnement du crédit et de déréglementation du système
bancaire. En 1999, les Caisses d'Épargne reçoivent, tout comme les caisses de Crédit agricole
le statut de sociétés coopératives de banque, et en 2002 les établissements mutualistes entrent
à la Fédération des banques françaises. La libéralisation du crédit instaure les bases d'une
concurrence véritable entre les banques et les autres établissements de crédit sur un marché
national globalisé, où les opérations tendent à se banaliser.
Ensuite l'unification du marché des services financiers dans un cadre européen réalisée
entre 1993 et 1999 sous l'impulsion de la Commission européenne, l'imposition en 1993 du
ratio Cooke comme ratio européen de solvabilité, l'adoption d'une monnaie unique
européenne au début de 2002, exposent les banques françaises à une concurrence accrue de l'
étranger.
Par ailleurs, en 1987, le gouvernement Chirac privatise quelques grandes banques ,
dont la Société générale, le Crédit commercial de France, Suez et Paribas, et l'année suivante
il mutualise la Caisse nationale de crédit agricole. Les privatisations sont gelées de 1988 à
1993, mais elles reprennent ensuite, et touchent la BNP en 1993 et le Crédit lyonnais en 1999.
Avec la privatisation de la Banque Hervet en 2001 et la cession en 2002 de 10% du capital du
Crédit lyonnais restant détenu par l'État, ce mouvement de dénationalisation arrive à son
terme.


Enfin, ces banques désormais privées se trouvent plongées dans une conjoncture
agitée, marquée par de graves crises, comme la récession qui frappe l'économie française en
1993, les difficultés financières crise en Asie durant l'année 1998, et les désastres immobiliers
des années 1990. De là une grave crise bancaire qui atteint son pic en 1997-1998, et qui
frappe en particulier le Crédit foncier, le Crédit lyonnais, le CIC, la Société marseillaise de
crédit.
Tout cela déchaîne une concurrence intense, et provoque des mutations d'autant plus
brutales en France qu'elles y ont été longtemps retardées par l'influence de l'État. Elles se sont
traduites par une série d'acquisitions et de prises de contrôle spectaculaires qui restructurent le
secteur bancaire :
- en 1996, l'alliance du Crédit local de France et du Crédit communal de Belgique donne
naissance à Dexia, qui est une société belge, et un établissement mutualiste, le Crédit
agricole, acquiert Indosuez ;
- en 1997, Paribas cède le Crédit du Nord à la Société générale, et le Crédit national achète
la Banque française pour le commerce extérieur, la fusion de ces deux entités entraîne la
création d' un groupe nommé Natexis ;
- en 1998, les Banques populaires lancent une OPA amicale sur Natexis, et au mois d'avril
de la même année le Crédit mutuel prend le contrôle de l'Union européenne de CIC ;
- en 1999, la BNP qui dès sa privatisation a eu pour objectif la croissance externe, lance une
double OPE sur la Société générale et sur Paribas : au terme d'un semestre
d'affrontements, elle emporte un demi-succès, en prenant le contrôle de Paribas seulement
: un fusion donne naissance l'année suivante à la BNP-Paribas ;
- en juin 2000 le CCF, qui était convoité par plusieurs investisseurs étrangers, est l'objet
d'une OPA amicale du groupe britannique HSBC, et la Banque Hervet, vendue en 2001 au
CCF, entre du coup dans le même groupe.
Plus généralement, la concentration du secteur bancaire s'accentue rapidement : en
1984, il y avait encore en France 1556 banques, deux fois moins qu'au début du siècle ; en
1998, il n'y en a plus que 1000. Et ce mouvement de réorganisation qui affecte le monde des
banques se poursuit actuellement, comme le montrent la compétition que se livrent la BNP et
le Crédit agricole pour le contrôle du Crédit lyonnais, et les projets en cours de
restructurations et de fusions concernant les Banques populaires et les caisses de Crédit
agricole…


Dans le même temps, les banques françaises, qui se situaient entre la 101e et la 240e
place dans le classement des banques mondiales établi en fonction de leur rentabilité en 1997,
à la sortie de la crise bancaire, ont réussi un net redressement en ce domaine. Grâce à
l'importance qu'elles accordent aux activités de banque de détail, elles sont moins touchées
que d'autres par la montée des risques qui affectent les résultats de beaucoup de banques
étrangères. Dans l'ensemble, elles ont assez bien résisté au processus de désintermédiation en
cours durant la dernière décennie, et elles devraient bénéficier de la réintermédiation du
financement provoqué par le récent recul de la Bourse.
Mais elles doivent poursuivre leurs efforts pour améliorer une rentabilité encore
insuffisante, affronter une concurrence étrangère de plus en plus vive, et dans le même temps,
sous la pression de l'Europe, elles pourraient voir disparaître certaines de leurs spécificités
héritées du passé, comme l’absence de tarification du service des chèques, contrepartie de
l'absence de versements d'intérêts sur leurs dépôts à vue. Enfin, comme Internet ouvre à de
nouveaux acteurs l'accès à des opérations et à des services réservés jusque-là aux
établissements de crédit, les banques françaises doivent s'adapter rapidement à cette
révolution, inventer de nouveaux canaux de distribution même s’il semble bien que la relation
client/agence ait encore de beaux jours devant elle. Mais elles ont au cours de leur longue
histoire relevé bien d'autres redoutables défis…